Depuis le confinement, l’association manque cruellement de chauffeurs bénévoles pour livrer la nourriture dans les centres de distribution. Les salariés craignent « la catastrophe » à cause du nombre de bénéficiaires, en hausse constante.

Par Ariane Riou
Le 17 septembre 2020 à 19h57, Article du PARISIEN
C’est l’heure de pointe dans l’entrepôt des Restos du cœur, à Argenteuil (Val-d’Oise). Dehors, le soleil commence juste à poindre. Mais à l’intérieur, tout le monde est déjà sur le pont. Les uns chargent les camions de nourriture, les autres grimpent dans les cabines. « Bonne route ! », lance Guillaume Chancelier à l’un des chauffeurs.
S’il réussit à dissimuler son stress derrière sa franche sympathie, le responsable de l’entrepôt ne cache rien de la « situation critique » dans laquelle il se trouve. Depuis le confinement, les livraisons de nourriture dans les trente centres de distribution du Val-d’Oise et des Hauts-de-Seine desservis par l’entrepôt d’Argenteuil se sont complexifiées. « Entre mars et septembre, on est passé de 21 chauffeurs bénévoles permanents à six », souffle-t-il.

La cause? « La grande majorité des bénévoles sont des retraités », explique Jacques Latil, président des Restos du cœur dans le 92. Certains se sont mis en retrait à cause du Covid-19. « J’ai un chauffeur qui a des problèmes cardiaques, un autre qui est en chimiothérapie, un troisième qui a peur de l’attraper… », liste Guillaume Chancelier, devant son écran d’ordinateur sur lequel les absences s’affichent en rouge. « C’est criant », souffle-t-il.
Pour pallier ces trous, le responsable a fait appel, ces dernières semaines, à des sociétés de transports privées. « Mais elles aussi sont en sous-effectifs avec la crise, observe-t-il. C’est un vrai casse-tête. »
Des responsables de centre au volant
Place, donc, au système D. Ce matin-là, sur les neuf livraisons prévues, trois seront effectuées par les responsables de centre eux-mêmes. « Lui, par exemple, c’est le responsable de Soisy-sous-Montmorency, indique Jean-Michel Baer, le président de l’association dans le Val-d’Oise, en pointant un homme pressé qui se dirige vers l’un des camions. Ce matin, c’est lui qui fera la livraison dans son centre, ce qui n’arrivait jamais avant. »
Il est 7h30 quand, Michel, 60 ans, débarque sur son vélo à l’entrepôt. Le grand-père est chauffeur bénévole depuis son départ en retraite il y a un an. Ce matin-là, il doit livrer le centre de Boulogne-Billancourt. Dans son camion, des yaourts, des légumes frais, des œufs…

Michel en parle autour de lui, trouve un ancien collègue disponible pour aider. « Je n’aurais jamais pu rester sur mon canapé en sachant qu’ils avaient besoin de moi », martèle-t-il. Dès son arrivée à Boulogne, le retraité s’attelle à décharger le camion avec des bénévoles, sous l’œil de Christine Mahuzier, la responsable du centre.
« Si les livraisons ne fonctionnent plus, c’est toute la chaîne qui s’écroulera »
« Jusqu’à présent, Guillaume a fait des miracles, on a toujours été livré », reconnaît la responsable. Mais la suite semble plus floue, le nombre de bénéficiaires ayant bondi de 20 % au déconfinement. « Des personnes qu’on ne connaissait pas, des étudiants, des familles nombreuses, sont venues chercher à manger », explique-t-elle.
Pendant le déchargement du camion, un bénéficiaire glisse une tête dans le centre. « Il faut revenir cet après-midi Monsieur. La distribution a lieu à partir de 13h30 », précise Christine Mahuzier. « Vous voyez, si les livraisons ne fonctionnent plus, c’est toute la chaîne qui s’écroulera », anticipe-t-elle.

10h30. Michel reprend le volant. C’est l’heure de rentrer à Argenteuil, là où 3,5 millions de repas sont livrés chaque année. À son bureau, le responsable, Guillaume Chancelier, planche sur les plannings. « Avant, je pouvais prévoir les choses deux semaines à l’avance. Aujourd’hui, c’est impossible, je m’y prends trois jours avant », regrette le spécialiste.
Des dons refusés faute de chauffeurs
Lucien, dit « Lulu », s’arrête pour le saluer. Le chauffeur de 64 ans vient de terminer sa livraison au Plessis-Robinson. « Je bosse tous les jours ici, explique-t-il. Avant le confinement, c’était trois jours par semaine mais je sais qu’ils ont besoin de moi maintenant. »
Car le déficit de chauffeurs a déjà créé de la casse. Certains « enlèvements », ces trajets pour récupérer de la nourriture chez des donateurs, sont passés à la trappe. « On n’a plus assez de monde pour aller les chercher, confie Jean-Michel Baer. C’est triste mais on est obligé de refuser… »
Guillaume Chancelier calcule : « on a besoin de neuf chauffeurs en plus pour tenir le coup ». Seul un permis B – les camions ne sont pas immenses – et « un peu d’humanité » suffisent pour devenir bénévole.
Dans quelques semaines, fin novembre, la campagne d’hiver, la plus importante de l’association, doit commencer. Et les livraisons s’intensifieront. « Si on ne trouve pas de chauffeurs d’ici là, on court à la catastrophe, souffle le responsable de l’entrepôt de 4 500 m 2. Je n’aurai plus de solutions. »